Ère du sous‑sol

Un jour, on nous a demandé notre main !

Notre main pour un “compagnonnage”. C’était ça, le terme du contrat !

Et l’équipe avec qui nous nous sommes engagées en septembre 2017 (pour une durée de 3 ans re-considérable chaque année) est celle du Champ de Foire, à Saint-André-de-Cubzac. Cette ville d’environ 10 000 habitant·es, avec de nombreux rond-points, est située à une trentaine de kilomètres au Nord de Bordeaux. Il faut passer la Garonne, puis la Dordogne. On nous l’a présentée comme “un territoire en transition”. À la fois pas assez bling bling et trop loin de la métropole bordelaise pour que celle-ci la considère réellement, et en même temps trop proche pour qu’elle ne s’en désintéresse complètement. Car cette zone aux confins peut accueillir les petites classes moyennes et les familles monoparentales travaillant en ville mais ne pouvant financièrement plus se permettre d’y vivre.

La “belle endormie” n’en peut plus de ses façades ravalées. Les beaux appartements du centre-ville bordelais sont transformés en Airbnb, les hangars à denrées coloniales des quais de Garonne en centres commerciaux, des paquebots de croisière débarquent des consommateur·rices de loisirs du monde entier par grappes, et on s’ennuie à mourir au bord du miroir d’eau. Nous allons nous rendre compte par la suite que Bordeaux a toujours méprisé et exploité ce territoire un peu au Nord, bien vivant, dont le passé et le présent sont truffés de trésors. On s’en est éprise. Et plus particulièrement, depuis le printemps 2018, nous voilà passionnées par les sous-sols de Haute-Gironde.

La première année de ce compagnonnage a eu lieu une Bibliothèque humaine. C’est une expérience d’écriture et de récits personnels autour de questions liées à des situations de dominations (sociales, raciales, sexistes, etc…). Cela a rassemblé un groupe de volontaires installé·es à Saint-André et alentour, qui se sont raconté·es, et dont nous avons fait la connaissance.  Après, nous avions envie que ce soit ces personnes-là qui nous fassent découvrir “le coin”. Nous avons inventé un jeu d’exploration du territoire et on s’est fait embarquer chacune de notre côté par des binômes pétillants, géniaux et inventifs…

Lorsque nous avons mis en commun nos découvertes, nous nous sommes rendues comptes qu’elles se situaient toutes “sous la surface”. Cachées, oubliées, tapies dans l’ombre ou aux origines. Histoires de Résistance, grotte préhistorique, carrières souterraines, mycélium de champignons, caves clandestines. On a basculé dans l’underground, à Saint-André-de-Cubzac. En février 2019 a commencé à circuler de main en main la Taupe, le fanzine remonté du sous-sol. Et début juillet 2019, à l’époque où se sont fait durant près de 50 ans des grands banquets dans des carrières souterraines pour fêter et se souvenir des actions de résistance, ont démarré Les Saisons Souterraines. Depuis on ne peut plus regarder autrement le monde, les lieux, les gens, qu’en imaginant la face planquée, le miroir souterrain, le négatif de ce qui brille à la surface. Ce qui se frotte au principe de précaution, ce qui échappe et résiste à la surface (L’Événement Historique, 2021).

À force de creuser des trous, de prélever des carottages et d’enterrer la terre, on a glissé dans les souterrains. Nos yeux s’habituent à l’obscurité. On côtoie des chauves-souris, des taupes, des anges gardiens, des paléontologues et des fans de musiques expérimentales. Nous rencontrons la grande communauté souterraine et buissonnière.

En octobre 2018, à la jonction entre l’ère de la terre et l’ère du sous-sol est apparue, un peu comme un champignon matsutake, un nouveau spectacle dans le paysage de la Grosse Situation. Une rencontre inédite et très underground entre un organiste bénévole (et paysan) et sa fille artiste (Bénédicte) : Rendez-vous au Paradis.

Depuis quelques temps, telle une taupe qui aère les sols compacts de ces nombreuses galeries, Eva a rejoint l’équipage de la Grosse Situation avec ses outils d’information et de communication.