REGI·E·S

Une proposition de Cyrielle Bloy
Production déléguée La Grosse Situation
Conception : Cyrielle Bloy
Avec l’aide à la mise en scène de Anouk Guerbert et Mathias Forge

NOTE D’INTENTION

Le projet REGI·E·S est né de mes expériences de régisseuse sur des plateaux de tournage et d’assistante à la mise en scène dans le spectacle vivant. J’imagine un rendez-vous non spectaculaire dans l’espace public qui mettrait en lumière les métiers de l’ombre, en se concentrant sur les régisseur·euse·s, et les assistant·e·s.

Pour écrire cette aventure collective, je souhaite confronter l’imaginaire au présent en expérimentant l’écriture in-situ. J’ai pour idée de mélanger la réalité et la fiction en organisant le tournage de film fictif dans l’espace public, sans aucun matériel, sinon des talkies walkies *TW, outils nécessaire à la communication entre les équipes.

C’est un parcours dans la ville, un déplacement de décor en décor. Les invité·e·s/spectateurices font partie de l’équipe du tournage, autant plus qu’ielles sont équipé·es de talkies walkies pour entendre les dialogues entre régisseur·euse·s.

Le tournage est surtout un prétexte pour mettre en valeur l’espace public, sa capacité de décor, de mise en scène, de figuration, et en l’intégrant dans le film elle devient potentiellement aux yeux de celleux qui regardent un personnage dans la création de l’histoire. Le scénario se composerait donc en fonction du réel et du présent, mais peut-être aussi de surprises. L’idée serait de créer le doute sur le présent. Le tournage n’est pas un événement dans la ville, mais c’est bien la ville que l’on filme qui est l’événement.

DE L’IDÉE À LA MISE EN ŒUVRE

J’imagine deux situations qui se déroulent en même temps et qui sont interdépendantes. D’abord, celle du tournage d’un film, avec tout l’aspect technique en n’ayant comme seul matériel le talkie walkie et en présence d’au minimum deux régisseur·se·s, un.e avec le groupe des personnes conviées, l’autre au service de l’action. Ielles sont en relation permanente, et se joue entre elleux un rapport d’autorité au service de l’image, mais celui avec le groupe ayant un ascendant sur celui/celle qui est dans le décor. Puis, celle de l’action qui se tourne dans l’espace public avec comme seules caméras : nos yeux qui le regardent, les yeux des personnes conviées, un groupe entre 20 et 30 personnes pour une proximité, et la sensation d’intimité d’une équipe.

L’idée est de reproduire dans son essence l’énergie d’un tournage, faite d’attentes, de mises en place assez rapides, d’annonces, de tops et des moments où ça tourne, où l’attention est à l’image et au son. En permanence pressé par le temps, il faut que la journée rentre, que le temps d’images utiles soit réalisé, et que tout soit bien co-ordonné. Cette énergie est induite dans la relation entre les deux régi·e·s. Les Régi·e·s sont performeur·se·s, homme ou femme ou personne sans identité de genre. Ielles fonctionnent en duo. Ielles sont les personnes qui font le protocole cinéma et donnent le cadre des images et les font apparaître. Ielles sont en relation entre elleux et avec/pour l’espace public comme des magicien·ne·s qu’on n’a pas l’habitude de voir. Il y en a un·e qui est avec le groupe de spectateur, en relation directe les impliquant dans le dispositif tournage et l’autre exécute les ordres et prépare les décors, souvent peu visible dans le décor.

« Silence plateau, moteur demandé, ça tourne, annonce, et…action ». Les annonces sont essentielles car elles donnent à entendre ce que l’on attend de l’image : le cadre, le type de plan, la mise en place, ça prépare l’équipe au moment d’après l’’action » . L’action c’est la vie, la rue, ce qui est là, ce qui s’écoute, ce qui est en mouvement, ce qui est inerte et surtout ce que l’on ne peut pas prévoir, l’inattendu. Autant d’yeux que de points de vue.

L’espace public orchestrant et orchestré. Ce qui se joue, ce qui « se filme » n’a pas de prise, c’est ce qui nous échappe, c’est la vie. C’est là que l’espace public devient le sujet, c’est lui l’acteur principal du film. Il s’agit de mettre en valeur ses capacités de décors, de situations, de circulations, d’interprétations, fait images. Écrire avec ce qui est là et ce qui nous échappe, intégrer les images comme si les régisseur·euse·s en étaient les auteur·trice·s. Régi·e·s est une proposition dans et pour l’espace public et ce dernier est au centre de l’écriture, révélé à travers le dispositif de film fictif. Il s’agit d’avoir une relation cinématographique avec ce qui se passe dans le cadre, dans l’image choisie et les situations et les sons qui sont là. On ne sait plus ce qui est vrai ou pas.

Deux écritures sont parallèles et entremêlées. J’aime le rapport à l’image, j’aime être surprise par le réel et j’aime bien comprendre comment les choses se fabriquent. Celle du tournage est protocolaire et demande une certaine rigueur. Quand à l’autre elle demande d’être au présent, à l’écoute avec le réel pour en faire quelque chose de « mis en scène ».

LES MÉTHODES DE RECHERCHES

Déployer et approfondir la sémantique, le langage, les champs lexicaux cinématographiques. Les techniques de l’image : Traveling, panneautage gauche droite, haut bas, plan serré, plan large, plan d’ensemble, son seul, amorce, raccords, champs contre champs, top shot, contre plongée… La communication inter-équipe : silence, moteur demandé, ça tourne, ça tourne au son, cadré, silence plateau, annonce, et c’est clapé, action, top figuration, …
Travailler dans l’espace public. J’imagine une déambulation. Comme pour un tournage, il y a plusieurs décors, et donc plusieurs arrêts. Chaque arrêt est une séquence, qui peut comporter plusieurs plans, donc des déplacements dans le même décor. Qu’est-ce qu’on veut révéler de cet endroit ? Qu’est-ce qui saute aux yeux ? Ou qu’est-ce qui demande qu’on se rapproche pour le voir ? Trouver la particularité des lieux que l’on veut « filmer ».

Le déplacement du groupe spectateur·trice·s et les mouvements de caméra. Le chef opérateur ou la cheffe opératrice est celui/celle qui tient la caméra, et toute l’équipe autour s’organise en fonction du cadre. Lors de mes expériences, j’ai pu observer que quand ielles portent la caméra à l’épaule, je vois des danseur·se·s. Ces déplacements sont des mouvements qui ressemblent à une danse, parfois dans des postures un peu saugrenues. Alors quand j’imagine ce groupe de spectateur·trice·s faire un travelling avant, j’imagine un groupe qui doit se déplacer ensemble pour suivre le sujet.

Le rapport aux sons. Le son, la prise de son, les sondier·e·s sont souvent la dernière roue du carrosse sur les plateaux de tournage. On a tendance à l’oublier alors qu’ielles ont un rôle essentiel dans l’image. Il s’agit ici de le mettre en avant autant que ce que l’on regarde. Dans ce travail, je souhaite ne pas le laisser de côté, et observer comment le son participe à l’écriture du processus de tournage. Le son peut être un perturbateur.

La présence du hors champ. Il n’y a pas vraiment de cadre comme peut le proposer une caméra. A nous de le définir sur le moment. Définir les bords cadre, nous permet de savoir ce que l’on regarde. Mais le champ est large dans l’espace public, et il peut nous attirer, car notre vision est en mouvement. Garder un œil et une oreille attentive, car le son ou les personnes hors champ peuvent participer à l’écriture du film fictif, si on arrive à s’en saisir.

LES PUBLICS

public convié. qui a une feuille de service et un TW, qui sera au cœur de la relation entre les régisseurs, qui sera à l’endroit où on propose le cadre de l’image, qui regarde l’objectif, à qui on pourrait demander conseil, qui marche dans la ville pour changer de décor, qui va vivre l’aventure tournage, qui pourrait faire une amorce épaule, ou être figurant

public non convié. celui qui passe casque sur les oreilles, celui qui marche vite, celui qui conduit qui s’arrête et qui livre, celui qui s’arrête pour regarder ce qui se passe, celui qui va décider de nous rejoindre, celui qui est usager·e·s des espaces, celui à qui la rue lui appartient, celui qui klaxonne, celui qu’on entend hors cadre, celui qui n’a pas de TW, celui qui sort du magasin, celui qui se rend compte de quelque chose, celui qui ne restera pas toute la durée du tournage, celui qui aura le sourire comprendra qu’il est à l’image, celui qui est notre principal figurant…

IMAGINONS

Le RDV est à la table régie. Au cul du camion.

On s’équipe du talkie, avec quelques recommandations du/de la régisseur·se. On prend sa feuille de service, annonçant le déroulé des séquences de la journée en fonction des décors. Et c’est parti, l’équipe de tournage va sur le premier décor guidé par le/la régisseur·se. Plan large sur une place, en contre plongée. Plan d’établichement. Toujours la même séquence mais c’est le plan numéro 2. Plan rapproché, en contre plongée sur une poubelle, le groupe de personne est rassemblé accroupi d’un côté de la poubelle, pour la voir d’en bas. Plan 3 :Insert main qui jette un détritus. On refait quatre fois la prise. Son seul, ambiance place. Coupé. On change de décor. Une rue, avec de la profondeur, et rue passante au loin. Drap qui vole à un balcon. Plan fixe. Amorce épaule. Subjectif en travelling avant jusqu’à la rue passante. Plan fixe. Etc etc… A nous d’écrire en fonction des villes, des rues, de ce qui est là.

A travers ce parcours urbain, les régi·e·s et son équipe changent de décor. Les séquences ne se tournent pas dans l’ordre, se référant à la feuille de service comme dans un vrai tournage. Le son des TW est présent pour les annonces et les dialogues entre régi·e·s, intégrant tout le monde, mais aussi le public non convié, qui peut tout entendre. Le montage se fera plus tard, par le prisme qui individu qui compose le groupe, je fais confiance au fait qu’ielles seront auteur·e de leur propre histoire avec les images vivantes qu’ielle auront vu.

Dernier décor, dernier plan «  et c’était une dernier plan de la ville ». Applaudissement. La « fin de journée » est annoncée au TW. C’est alors qu’une bière les attend à la table régie. On rend les TW, et on les met à charger pour le prochain groupe ou pour le lendemain.

Exemple de dialogue imprécis, mais pour mettre dans l’ambiance…(*= dialogue au TW)
R1* : Regi·e·s pour Regi·e·s
R2* : je t’écoute
R1* : t’as encore des gars d’la déco avec toi
R2* : non sont partie sur le décor égout
R1* : ok mais sur le scénario on avait poubelle débordante
R2* : je sais, j’y suis pour rien
R1* : trouve une solution nous on est prêt·e·s
R2 apparaît sur la place et remplit la poubelle que l’on voit à gauche du cadre.
R2* : c’est bon comme ça
R1* : c’est tout ce que t’as
R2* : je fais au mieux
R1* : ben on fera avec, faut qu’on avance
Le/la R1 se tourne vers une personne du groupe : C’est bon pour toi comme ça ? Réponse de cette personne.
R1 :  bon ben on est prêt à tourner.
R1*: Regi·e·s pour Regi·e·s
R2* : oui
R1* : tu peux sortir du cadre
R2 * : mais je suis déjà sorti.e
R1* : non on te voit encore, on a élargi, déplace-toi sur ta droite
R2* : là
R1* : encore, encore et soooorti !
R1 : Bon un peu de silence, prêt à tourner
R1* silence, ça tourne, tourne au son, cadré, anoonce, séquence 45 sur 1, clap, et action
La ville joue son rôle.
R1 * : action figuration
R1 * : top pigeon
R1 * : et c’est coupé. On passe au plan resserré poubelle.

BIO
Cyrielle Bloy – artisticotechnicosensible

Originaire du Béarn, à égale distance des Pyrénées et de l’océan, son cœur balance davantage pour les montagnes, qu’elle gravit avec enthousiasme qu’elles soient réelles ou métaphoriques. Après l’obtention d’un DUT carrière Sociale et d’un Master Professionnel Mise en scène et Scénographie, complétées d’expériences diverses et variées au sein de compagnies, sa soif de connaissances, de rencontres l’ont conduites au cœur de processus de création.

Elle se professionnalise avec un goût aigu pour l’accompagnement et la mise en place de projets, et occupe les responsabilités de metteur en scène, d’assistante à la mise en scène et d’interprète. Ce qu’elle aime le plus est d’apporter de la réflexion, du contenu et des contours à la création et au vivant. Elle travaille avec plusieurs compagnies de théâtre, de danse, d’art de la rue avec qui elle se fidélise. Parallèlement, et pendant une dizaine d’années, elle dirige une compagnie de danse théâtre avec laquelle elle écrit en duo des spectacles. Afin de déployer ses recherches, elle s’ouvre en simultané aux métiers du cinéma, toujours à l’endroit de l’assistanat, de la mise en scène et de la régie et trouve ainsi sur les tournages une autre façon de disposer de son énergie et de sa créativité.

Elle est animée par le travail en collectif, et met à disposition ses idées foisonnantes et sa sensibilité dans l’écriture, la dramaturgie, l’accompagnement des interprètes et la fabrication d’images vivantes. Elle appréhende les doutes et les problématiques de la création sans crainte, car elle aime se remuer les méninges afin de trouver des solutions. Elle se sent aussi bien dans le dialogue avec les aspects artistiques que les aspects techniques, ce qui fait qu’on la qualifie souvent de « couteau suisse » qui sourit. Plusieurs casquettes donc, et toujours avide d’aventures, d’expériences et de projets. Elle a récemment passé une certification de pyrotechnicienne avec le Groupe F, se plait à la mise en place de spectacle pyrotechnique et accompagne des spectacles en tant que régisseuse, accessoiriste ou roadie. Aussi, elle a développé l’enseignement de sa pratique des arts de la scène, en intervenant au sein de formation, accompagnant par exemple les étudiants de l’université où elle a fait ses premières armes.

Installée à Bordeaux, elle poursuit ces navigations entre les projets, les équipes, et les géographies. De son temps libre, elle se laisse rêver d’un monde plus doux, militante, engagée, elle foule le bitume avec les syndicats et non syndiqué·e·s et vient en aide aux populations en tant que sapeuse pompière volontaire.

Voici un petit aperçu des spectacles dans lesquels son enthousiasme et son énergie ont été, sont et seront déployés : Avec Collectif OSO : Timon/Titus, L’Assommoir, Pavillon Noir. Avec Opéra Pagaï : Safari Intime, La cité Merveilleuse, Cinérama, Le Grenome de l’Estuaire. Avec Jeanne Simone : Sensible Quartier. Avec Née d’un doute : Duo d’escalier, Monde Paréllèle. Avec Cie Sylex : Grrrr, Vieillesse et élégance, Rites de Passage. Avec Ussé Inné : Boum, Le grand Oui. Avec La Chèvre Noire : Sanatorium, Illkept, Mourir pour un serpent à plume. Avec le collectif la Méandre : Bien Parado. Cinéma : Saison 1 les Grands ( OCS, Real Vianney Le Basque) – Split ( France TV slash, real Iris Brey) – Enterrement de vie de garçon (Canal +, real Panayotis Pascot) et une dizaine d’autres projets.

Production Déléguée La Grosse Situation
Coproduction : Le liburnia – Théâtre de Libourne