le banquet à la surface

TOUT VIBRE SUR TERRE, TOUT TREMBLE DANS L’ONDE

C’est ce message qu’un petit groupe d’habitant·es de Saint-Laurent d’Arce attend impatiemment, et entend le cœur battant, un soir d’avril 1942 sur la fréquence de Radio Londres. Deux fois. Dans les palus de la Dordogne cette nuit-là et à plusieurs reprises durant cette année, vont être parachutées aux résistant·es, “les armes de la liberté”. Elles seront ensuite planquées dans des carrières souterraines avant d’être acheminées vers Bordeaux et des maquis de la région par “l’Organisation”. Et puis le petit groupe mobilisé par ces actions de résistance contre l’occupant nazi et le gouvernement pétainiste devra lui-même se planquer dans les dédales creusés par les carriers de Haute-Gironde. 15 jours dans le noir, nourris par leurs acolytes de la surface, à attendre le bon moment pour s’enfuir vers d’autres maquis et attendre la libération de la France pour pouvoir retrouver familles et ami·es.

Lorsque nous avons entrepris notre “itinérance de talpidés”, de Bourg-sur-Gironde à Saint-André-de-Cubzac par les sous-sols, nous avons rencontré Anne-Marie et Francis. Tous les deux sont enfants de résistants qui ont participé au péril de leur vie à ces actions de terrain. Il et elle nous ont raconté leur histoire (*). Sous le sol. Au fond de la carrière où leurs pères se sont cachés et ont écrit au graphite noire sur la paroi blanche leurs noms. “Ils ont fait ça, parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Ça allait de soi. Ils ne se voyaient pas comme des héros !”

Pendant des années, après la Libération, les résistant·es et leurs proches ont commémoré le souvenir de ces actions en organisant des grands banquets dans les carrières souterraines, au plus proche de la planque. Parquet de bal sous terre, accordéon, pot-au-feu et escargots à la bordelaise. Jusqu’à plus soif. Tous les ans, début juillet, jusqu’au début des années 2000.

Plus fort que la nécessité de se souvenir, le principe de précaution est venu confisquer ce rendez-vous underground à la vie locale. Tant bien que mal, l’association “Histoire et mémoire en Cubzaguais” continue de perpétuer le rituel dans la salle des fêtes de Saint-Laurent-d’Arce… Mais combien de temps reste-t-il avant que plus personne ne se souvienne du chemin pour accéder à la stèle tapie dans l’ombre sous la terre où sont gravés les noms de nos héros et de celles et ceux qui les ont aidés à la surface ?

À partir de quand entre-t-on en résistance ?

Voilà la question qui nous a hameçonnées et à partir de laquelle nous avons imaginé et construit la péripétie du Banquet à la surface.

Un récit librement inspiré des faits réels. Une mise en situation des spectateur·rices à travers vignes et champs. Un tournage où la caméra imaginaire fait de nous un groupe de résistant·es planqué·es dans les hautes herbes. Des colis contenant des picnics parachutés par le club d’ULM. Un parquet de bal à la surface des carrières où se déroulait la fête du dessous. Une tranchée trifrontale pour installer les convives le cul par terre, les jambes en sous-sol, le tronc à l’air libre, à mi-chemin entre ce qui se montre au grand jour et ce que l’on protège en secret. Une soirée à faire circuler discrètement indices et messages codés afin d’approcher, dans le brouhaha du bal, un membre de la grande communauté souterraine(**).

Une nuit à danser sous les étoiles au rythme des musiques de résistances soigneusement choisies par le Selektor Black Andaluz, à chanter à voix nues le chant des partisans, et à s’avancer à l’orée underground pour imprimer nos rétines présentes de cette histoire passée. S’en hybrider.

La préparation et la réalisation de cette fête de la résistance ont mobilisé un nombre considérable de personnes, d’associations, de comités des fêtes, de municipalités et de leurs services, de propriétaires terrien·nes, d’agriculteurs, de conducteurs de pelleteuse et d’ULM, d’ami·es, sans qui ce qui a été vécu n’aurait pas été.

Merci à tous “ces cœurs qui haïssaient la guerre (et) battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.”


©François Serveau

 

 

Equipe de la Grosse Situation : Alice Fahrenkrug, Bénédicte Chevallereau, Lucie Chabaudie, Cécile Delhommeau, Léa Casteig, Raphaël Droin, Thierry Lafollie, Jaime Chao, Kuba Gorny,  Rémi Philton
DJ: El Selektor Black Andaluz

Production : La Grosse Situation et le Champ de foire

 

(*)L’histoire des résistant·es de Saint-Laurent-d’Arce a été romancée par Pierre Boyries dans Les clématites sauvages.
(**)Les membres de la grande communauté souterraine présent·es ce soir là: la véritable fille de Victor, le héros de notre film ; l’arrière-petit-fils d’un carrier, dont le nom est inscrit partout sous terre ; quelqu’un qui connait le contenu du message enterré dans les racines de l’arbre de la liberté ; quelqu’un qui a eu entre les mains des documents concernant une part sombre de la libération ; quelqu’un qui cultive des pleurotes dans une carrière ; quelqu’un qui a touché du doigt le mystère du duende ; quelqu’un qui a vécu quelque chose de très spécial à la grotte Pair-non-Pair ; quelqu’un qui a vu des montagnes de déchets dans une carrière souterraine ; quelqu’un qui est allé de Bourg-sur-Gironde à St-André-de-Cubzac que par les sous-sols ; quelqu’un qui a eu la trouille de sa vie dans une carrière souterraine ; quelqu’un qui connaît l’accès à une piscine naturelle souterraine ; un familier des free party ; une lanceuse d’alerte d’un scandale écologique ; un amateur de graffitis souterrains ; un enfant d’exilé politique ; quelqu’un dont le nom de famille signifie “cave” dans une autre langue ; une personne spécialiste des chauve-souris ; un anarchiste ; une personne qui pratique la plongée dans les carrières souterraines ; un défenseur des taupes et autres nuisibles ; quelqu’un qui fait du très bon pineau clandestinement ; quelqu’un qui a une entrée de carrière dans son jardin ; quelqu’un qui joue dans un groupe de garage ; quelqu’un qui fait pousser des légumes zombies tout près d’ici ; quelqu’un qui organise des cultes sataniques sous terre ; quelqu’un qui jouait enfant dans les souterrains ; quelqu’un qui parle le gabaï ; une fidèle lectrice de La Taupe, le fanzine remonté du sous-sol ; quelqu’un qui aime chanter dans les grottes. Auraient également été repérés dans la foule plusieurs membres de la Tripanguille…