LES ÉPLUCHÉS VIFS

et LA SOUPE DES SECRETS

Nous sommes invitées par le festival Effervescences à Clermont-Ferrand à imaginer une situation pour le QG des Rendez-vous secrets, qui se trouve dans la halle d’un marché de la ville. De midi à minuit, dans le quartier qui se trouve autour, auront lieu dans des lieux particuliers et cachés des performances d’une trentaine d’artistes (dont Rendez-vous au Paradis). Le fil rouge de la manifestation est ce qui se mange dans le paysage.
Il y a ce que chacun cuisine en secret, il y a ce qui se trame à plusieurs.

Aujourd’hui il y a une soupe qui bout dans le monde dans lequel on vit, dans un pays, dans une ville, dans un quartier, dans un marché, dans une grande marmite. Autant de paysages qui s’augmentent comme les strates d’un mille-feuille vertigineux. Une soupe comme la coulée de lave humaine d’une journée sur le marché Saint Pierre en pleine effervescence.

Des légumes épluchés sur le vif par des usagers et usagères du marché qui écoutent secrètement des bouts de vie offerts. Des légumes rassemblés par des cuisiniers et cuisinières qui se relaient et improvisent avec le réel et en font une soupe qui cuit une longue journée durant. Une montagne d’épluchures comme un vieux volcan d’Auvergne poli par le temps qui pourrait se réveiller ce soir-là pour cracher une soupe. Éruption savoureuse qui témoigne à la surface de cette journée, que d’autres rendez-vous secrets se vivent aux quatre coins du quartier.

En amont des éplucheurs et éplucheuses, des épluché·es et des épluchures, avant le jour de marché, avant les bols, avant la soupe, avant la fête, avant toute chose, il y a des rencontres qui ont eu lieu. Dans la Halle Saint Pierre, à ses abords, rue de la boucherie, dans une sandwicherie, dans des jardins plus loin, sur un autre marché, dans une cave, un bistro, une épicerie, une cuisine collective, une bibliothèque culinaire, et ailleurs encore. On a parlé à Jean-Baptiste, Martine, Marie-Laure, Carlotta, Eric, Maria, Hacer, Gaby, Rolland, Monsieur et Madame Wang et leurs filles, Caro, Pascal, Douglas, …

On a discuté de nourritures. Celles qui nous nourrissent au quotidien, et d’autres dont on se nourrit dans l’absolu. On a posé des questions. Pour qui, pourquoi, avec qui et quoi, où, comment, quand, on cuisine, on mange, on cultive, on s’installe ? De quoi a-t-on faim ?

On a ouvert des fenêtres dans nos assiettes, nos paniers, nos placards perso. On a ouvert des vannes. On s’est ouvert l’appétit d’en savoir plus, ou de simplement imaginer le reste. On s’est donné rendez-vous pour se revoir, et enregistrer des bouchées de ces vivres-là sur les terrains affectifs de chacun·e.

C’est à ces voix-là que les passant·es, usagers et usagères du marché St Pierre à Clermont-Ferrand ont eu accès, sous le casque des postes d’épluchage installés dans et autour de la halle ce samedi 20 septembre-là.

Et la soupe était fort bonne!

« Note de terrain chez Jean-Baptiste 17 juin 2019.

Sa cave ne lui appartient pas, ni ses vignes d’ailleurs. On descend d’un étage dans la cave, où il fait 16 degrés, c’est frais et agréable. Il dit « on peut cracher aussi », quand on commence la dégustation. L’endroit il y a 50 ans était une cave d’affinage de St Nectaire de l’affineur Madeuf (dont nous entendrons parler par la suite au marché St Pierre par les fromagers). A priori, les flores du vin et du fromage ne s’entendent pas super bien. Un dicton dit : « Dans la même cave, pinards et fromages ne font pas bon ménage. » Plusieurs fois, il dit : « pour faire du vin, pour trouver sa patte, il faut lâcher prise. »

Il dit : « Je déguste et je bois, je ne picole pas. Je suis à fond dans l’Alchimie. Je cherche la transcendance. Ce qui m’arrive ici c’est ça. »

À la maison chez eux, ils ne mangent pas beaucoup de viande. Il dit aussi que chez eux ils n’ont pas un gros budget bouffe. Ils sont 6 avec sa femme et ses 4 enfants.

Il raconte fièrement que son vin se boit dans des gastros qu’il est allé démarcher lui-même, en toquant à la porte. Il raconte aussi qu’il a été contacté par la sommelière de l’Élysée et qu’il est monté à Paris lui faire goûter son vin dans son bureau miteux. Il dit : « Au début j’étais formaté. La vie, c’est retirer ses peaux. »

S’éplucher en quelque sorte… »

 

Conception : La Grosse Situation
Mise en œuvre : Alice Fahrenkrug
Réalisation des bouchées sonores : Mikael Plunian
Équipage : Lucie Chabaudie, Jaime Chao, Chantal Ermenault, Léa Casteig

Production : Effervescences – Ville de Clermont-Ferrand